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Marché du travail

Personnels d'un Ryokan
Personnels d’un Ryokan

Dualité entre les emplois réguliers et non réguliers

L’emploi au Japon se divise en deux grandes catégories :
_ L’emploi régulier, défini par le Labour Standard Law (loi n° 49 du 07/04/1947), qui comprend tous les CDI à temps plein (68% des salariés en 2006).
_ L’emploi non régulier, qui englobe les signataires d’un CDD (10%, cf. Labour Standard Law), et les travailleurs temporaires (22%) dont font partie les part-time workers (leur nombre d’heures travaillées est inférieur à celui des employés réguliers occupant le même poste – cf. Part-Time Work Law, loi n° 76 du 18/06/1993), les arubaito (« petits boulots », ou travailleurs journaliers) et les intérimaires (cf. Dispatched Workers Law, loi n° 88 du 05/07/1985).

Les employés non réguliers représentaient 32,6% de la population active employée en 2005 contre 16,4% en 1985, soit un poids deux fois plus important dans la structure de l’emploi au Japon. Une étude réalisée en 2005 par le Japan Institute for Labour Policy and Training (JILPT) a montré que 80% des entreprises qui avaient recours au travail à temps partiel le faisaient pour réduire le coût du personnel, afin de réduire les sureffectifs accumulés lors de la bulle du début des années 1990, et faire face à la concurrence accrue avec des pays à faible coût de main d’œuvre.

La précarité des emplois non réguliers se manifeste principalement dans deux domaines au Japon :
_ La sécurité de l’emploi : alors qu’un préavis de trente jours est nécessaire pour licencier un employé régulier, l’article 21 du Labour Standards Law dispose que ce délai ne s’applique pas aux travailleurs temporaires ayant cumulé moins d’un mois de travail consécutif (deux mois pour les CDD, ou quatre mois dans le cas d’un contrat saisonnier). Toutefois l’article 18-2 du Labour Standard Law, qui précise qu’un motif « objectif et socialement acceptable » est nécessaire pour licencier un salarié, s’applique à tout type d’emploi.
_ L’accès à la sécurité sociale : contrairement aux CDD, les parttimers qui travaillent moins de vingt heures hebdomadaire dans une même entreprise (plancher déterminé par le Ministry of Health, Labour and Welfare – MHLW), les arubaito ainsi que les contrats saisonniers, dont la durée est inférieure à quatre mois, sont exclus du régime salarié de sécurité sociale (article 6 du Employment Insurance Law, loi n° 116 du 28/12/1974). Ils doivent en principe cotiser au régime de base, mais en pratique un nombre limité d’entre eux acquitte ces cotisations, qui ne sont pas prélevés à la source.

Dualité entre grandes et petites entreprises

Les PME concentrent la majorité des emplois non réguliers : en 2003, seulement 19% des employés travaillaient à temps partiel au sein des entreprises de mille employés ou plus, contre respectivement 37,9%, 36,6% et 36,1% des personnes employés dans les entreprises de 5 à 29, 30 à 49 et 50 à 99 personnes. Cette surreprésentation des employés non réguliers dans des PME moins distantes en termes de rémunérations pourrait expliquer, en partie, que le salaire horaire moyen d’un part-timer ne représentait que 49,3% de celui d’un employé régulier en 2006.

La taille de l’entreprise influe fortement sur le salaire des employés réguliers : le revenu mensuel moyen d’un employé régulier d’une grande entreprise est ainsi supérieur de 42% à celui d’un employé régulier d’une petite entreprise (de l’ordre de 448 000 yens – 3 270 euros – contre 314 000
yens – 2 290 euros). Les salariés des grandes entreprises ne représentent qu’une petite minorité de la population active employée.

Des inégalités qui touchent d’abord les jeunes, les seniors et les femmes

En 2004, 27,1% des hommes âgés de 15 à 24 ans avaient un contrat à temps partiel, contre 4,7% en 1985. Il s’agit de la plus forte hausse parmi les différentes classes d’âge, puisque ce chiffre a plus que quintuplé. Il faut également noter que le taux de chômage, s’il est stabilisé à 4% au Japon, reste de 8%, soit le double, chez les jeunes. Même si la hausse est proportionnellement plus faible, la précarité touche d’abord les seniors : à partir de 65 ans, la proportion du travail temporaire s’établit à 65,2%, soit une hausse de 30,5 points par rapport à 1985. Les inégalités entre homme et femme sont flagrantes. En 2005, le taux d’activité des femmes était de 48,4%, contre 73,3% pour les hommes et 60,4% pour l’ensemble de la population active. Le faible taux d’activité des femmes s’explique par un facteur culturel, les femmes étant amenées à se retirer du marché du travail après leur mariage ou la naissance de leur premier enfant (soit, en général, entre 30 et 39 ans). En outre, 40,6% des femmes employées travaillaient à mi-temps contre seulement 12,3% des hommes.

Elles représentaient à elles seules 69,7% de la population totale des parttimers : confrontées à des difficultés de réinsertion sur le marché du travail à l’âge de quarante ans une fois les enfants devenus autonomes, les femmes doivent souvent se contenter d’un emploi précaire. Inégale devant le taux d’activité et le type d’emploi, la situation des femmes l’est également devant la rémunération. Le revenu mensuel moyen d’un employé régulier féminin ne représentait que 64,2 % de celui d’un homme en 2005, soit 1,6 point de moins que l’année précédente. L’interruption d’activité des femmes à partir de trente ans explique dans un premier temps l’écart de revenu avec les hommes, puisque ces derniers ont accumulé plus d’années d’expérience tout au long de leur carrière. Entre 50 et 54 ans, le salaire mensuel moyen d’un employé régulier féminin ne représente ainsi que 54,2% de celui d’un homme, contre 88,5% entre 20 et 24 ans. Néanmoins, à poste égal et avec une ancienneté qui diffère peu, une vendeuse âgée en moyenne de 36,9 ans et avec 6,6 années de service ne gagnait en 2005 que 188 000 yens (1 372 euros), contre 270 000 yens (1 971 euros) pour un homme âgé de 35,3 ans et avec 8 ans de service, soit 30,4% de moins.

Enjeux à venir

La population active devrait diminuer, sous l’effet du vieillissement

Si le taux de fertilité a rebondi faiblement à 1,26 enfant par femme en 2006, il reste l’un des plus faibles des pays de l’OCDE. L’espérance de vie des Japonais s’établit à 78,5 ans chez les hommes et 85,5 ans chez les femmes, soit respectivement neuf et onze ans de plus qu’en 1970. Entre 2005 et 2030, la population japonaise devrait diminuer de 7,8%. Le nombre de jeunes âgés de moins de 15 ans et la population en âge de travailler âgée de 15 à 64 ans chuteraient respectivement de 24% et 18,2%. Au contraire, les seniors âgés de 65 ans et plus seraient plus nombreux en 2030 avec une hausse de 29,6% de leur effectif.

En outre, la génération du baby boom (c’est-à-dire les personnes nées entre 1947 à 1949, soit sept millions de personnes âgées de 58 à 60 ans), partira progressivement à la retraite dès cette année.
La part des employés âgés de 55 à 64 ans a augmenté de 3,7 points entre 1996 et 2006, passant de 15,3 à 19% de la population active employée. Celle des jeunes âgés de 15 à 24 ans a baissé de 3,6 points, de 12,6 à 9%. La population en âge de travailler devrait très rapidement décliner au Japon entre 2005 et 2030, de l’ordre de 16,5%, soit une baisse de 13,8 millions de personnes.

Un phénomène renforcé par les freeters et les NEETs

On assiste à une très forte augmentation du nombre de freeters1 entre 1982 et 2005 (+302%). Il s’élève toujours à plus de deux millions d’individus et confirme à la fois les difficultés des jeunes à trouver un emploi stable et leur volonté de se démarquer des schémas traditionnels qui ont fait la réussite du Japon d’après guerre.

En parallèle, les personnes âgées de 15 à 34 ans, qui ne sont ni à l’école, ni dans le monde du travail, ni en formation professionnelle (Not in Education, Employment or Training, NEET), sont généralement non satisfaits des options et des opportunités offertes pour leur avenir et se tiennent ainsi à l’écart des formes traditionnelles d’insertion sociale. Leur nombre était estimé à 640 000 personnes en 2005.

Ces nouvelles formes d’emploi accentuent le problème de diminution de la population active, dans la mesure où les jeunes ainsi employés n’acquièrent pas de formation satisfaisante et ne contribuent pas comme ils le pourraient à l’appareil productif japonais.

Des tensions se font jour sur le marché du travail

La pénurie de main d’oeuvre a fait sa réapparition en 2006, le nombre total d’offres d’emploi étant supérieur à celui des demandes (106 offres d’emploi pour cent demandes) pour la première fois depuis l’éclatement de la bulle spéculative du début des années 1990. En termes de flux, la situation est encore plus dégradée puisque le rapport s’établissait à 156 offres pour cent demandeurs d’emploi.

Les grandes firmes japonaises se livreraient ainsi à une très forte concurrence sur le marché du recrutement des nouveaux jeunes diplômés en augmentant les salaires d’entrée dans la vie active 2 et en déclenchant les campagnes de recrutement de plus en plus tôt.

Actions de l’Etat

Le programme Challenge Again

Le programme Challenge Again a été proposé par le gouvernement du Premier ministre japonais, M. ABE, en 2006. Il a pour but de réinsérer durablement dans l’économie japonaise les jeunes freeters, les seniors, les femmes et en général toutes les personnes ne retrouvant pas un emploi, afin de compenser la baisse annoncée de la population active, tout en réduisant parallèlement les inégalités existantes sur le marché du travail. Même s’il est en hausse de 11% en 2007 (à 63,4 milliards de yens, MdJPY – soit 412 millions d’euros, MEUR), le budget réservé au programme
Challenge Again ne représente que 0,3% du budget total du MHLW.

Développer les compétences des jeunes

Depuis 2003, le Action Plan to Ensure Independence and Challenges for Young People, révisé en 2005 et inclus dans le programme Challenge Again depuis 2006, a pour finalité de cibler chaque année 250 000 freeters afin de leur trouver un emploi régulier, et de faciliter de manière générale la transition entre l’école et le monde du travail à travers cinq mesures :
_ Le développement des Job Cafes qui permet, en coopération avec les institutions publiques comme Hello Work (équivalent de l’ANPE française), de s’adresser plus facilement à une population réputée rétive aux dispositifs traditionnels de recherche d’emploi.
_ Le Regional Young People Support Station met à la disposition des jeunes un réseau de contacts régionaux à travers différents forums organisés par Hello Work et avec la coopération des professionnels. Des conférences ainsi que des entretiens personnels ont ainsi lieu et doivent aider les participants à trouver un CDI.
_ Le Trial Employment Project for Youth permet à un jeune diplômé d’université à la recherche d’un emploi de bénéficier d’une période d’essai de trois mois qui devrait déboucher sur un CDI. Les entreprises privées qui souhaitent participer à ce programme bénéficient d’une aide financière de l’Etat japonais. Selon le MHLW, 80% des jeunes ayant suivi jusqu’à son terme l’essai de trois mois ont obtenu un CDI à plein temps.
_ Le Dual System in Japanese Style est une formation en alternance d’une à trois années destinée aux jeunes et notamment aux freeters. Elle se déroule à la fois en entreprise et dans des écoles de formation afin de permettre aux employés non réguliers de compléter leurs compétences et qualifications.
_ Le Self-support School for Young People a pour but, au travers d’expériences pratiques en entreprise sous la responsabilité des professionnels, de stimuler la confiance et la motivation des jeunes.
Même si la reprise économique l’explique largement, ces mesures ont sans doute également contribué à la diminution du nombre de freeters (-8% entre 2003 et 2005).

Valoriser le travail des seniors

70,3% des hommes âgés de 60 à 64 ans occupaient encore un emploi en 2003 au Japon (30% pour les 65-69 ans). C’est le premier pays dans le monde en terme de taux d’activité des seniors. Toutefois, tous ne retrouvent pas un nouvel emploi après l’âge de la retraite fixé par la quasi-totalité des entreprises à 60 ans : pour les 60-64 ans, le rapport entre offres et demandes d’emploi s’établissait à 0,64 en 2006.

Afin de favoriser l’emploi des seniors, une loi de 2004 impose aux employeurs de préciser clairement les motifs d’un âge limite dans l’élaboration d’une offre d’emploi. De plus depuis avril 2006, les employeurs sont tenus de respecter le régime d’emploi continu qui oblige les entreprises à garder leurs salariés de 60 ans ou plus s’ils souhaitent rester actifs au même poste.

Si la situation semble connaître un léger mieux (la proportion des offres d’emploi sans limite d’âge a augmenté de 21 à 43% entre 2004 et 2006),
53,4% des chômeurs de 55 à 64 ans affirment encore ne pas trouver d’emploi à cause de leur âge.

Le gouvernement envisage désormais de repousser l’âge minimum légal de la retraite à 65 ans en 2013 et souhaite une hausse conséquente du nombre d’entreprises où les employés resteront jusqu’à 70 ans, pour à terme « créer une société dans laquelle la population pourra travailler sans aucune limite d’âge ».

Accroître le taux d’activité des femmes

Depuis avril 2006, des bureaux Mothers’ Hello Work ont ouvert dans douze villes au Japon. Ils ont pour mission de fournir un environnement favorable (notamment un emploi stable et des informations complètes sur les garderies) aux mères souhaitant retrouver un emploi tout en élevant leur enfant. L’expansion du réseau Mothers’ Hello Work à travers tout le pays nécessitera à elle seule 2 MdJPY (13 MEUR) en 2007. Ce volet du plan Challenge Again est à mettre en relation avec la politique de soutien à la natalité (cf. supra).

Résorber le chômage de longue durée

Entre 1992 et 2003, la part des chômeurs de longue durée (un an et plus) a fortement progressé de 15,9% à 33,5%. En 2006, 380 000 sans emplois ont ainsi participé à diverses réunions organisées par les six cents bureaux de Hello Work et visant à les former aux outils de recherche d’emploi et à améliorer leurs compétences.

Equité entre les différentes formes d’emploi

Ne faisant pas partie du programme Challenge Again, deux lois sont néanmoins prévues pour réduire les inégalités entre les différents types d’emploi :
_ Les conditions d’accès au régime classique de la sécurité sociale devraient être assouplies pour les travailleurs non réguliers : un projet de loi qui vient d’être déposé au Parlement prévoit que les parttimers effectuant vingt heures de travail hebdomadaire cumulées, quel que soit le nombre d’entreprises dans lequel ils travaillent, seront soumis au même régime de sécurité sociale que les employés réguliers. Cette mesure serait également élargie aux arubaito.
_ Programmée également en 2007, une révision du Part-Time Work Law devrait être l’occasion d’inscrire dans un cadre législatif des directives déjà existantes en faveur des part-timers, mais que ne suivent pas toutes les entreprises. Cette loi fixe le principe de salaire égal pour un même travail, et impose des opportunités de formation équivalentes à celles des employés réguliers.

Mesures de relance de la natalité

L’ensemble des mesures en faveur de la promotion de la natalité s’élèvera à 1 487 MdJPY (9,6 MdEUR), soit une hausse de 13,5% par rapport à 2006 et près de 7% du budget 2007 du MHLW.

Renforcer l’assistance aux familles

Afin de relancer la natalité, le gouvernement estime nécessaire de mieux soutenir les mères de famille en allégeant les listes d’attente pour obtenir une place en crèche, en facilitant le développement d’établissements privés ou encore en proposant des horaires de garde plus flexibles.

Une révision partielle de la loi sur les allocations familiales sera également discutée à partir d’avril 2007. Elle accorderait une augmentation de 5 000 yens (32,4 euros) par mois à chaque famille ayant à charge un enfant âgé de moins de trois ans. Le montant total atteindrait alors 10 000 yens (64,9 euros) par mois mais se limiterait toujours aux deux premiers enfants.

Work/Life Balance

Peu d’hommes prennent leurs congés à cause d’horaires de travail chargés et peu flexibles. Le gouvernement estime également nécessaire de faciliter l’équilibre entre le travail et la vie de famille afin d’assurer une plus grande implication des pères dans l’éducation des enfants, rendant ainsi moins difficile la tâche des mères japonaises et encourageant ainsi la naissance d’un deuxième enfant.

A cet égard, les dispositions de la loi dite « Law for Measures to Support Development of the Next-Generation » votée en 2003, ont été renforcées en avril 2005. Cette loi oblige les entreprises de trois cents personnes ou plus à améliorer les conditions de travail des employés et à autoriser ces derniers à prendre plus librement des congés à l’occasion de la naissance d’un enfant. Mais ces mesures sont à nuancer, d’une part parce qu’elles ne concernent que les grandes firmes, d’autre part parce qu’elles sont passées largement inaperçues des salariés : 54,1% ont indiqué que leur entreprise n’avait pris aucune mesure suite à l’application du Next Generation Law, et 40% qu’ilsn’étaient pas informés de telles mesures.

Alors que le thème des inégalités a fait son apparition dans le débat public, le gouvernement japonais semble prendre conscience de la nécessité de réformer le marché du travail, notamment pour mieux protéger les salariés les plus précaires. La diminution de la population japonaise constitue un puissant facteur en faveur d’une telle réforme. Si les mesures prises ne sont pas négligeables, il faut toutefois en relativiser le poids (le budget alloué au programme Challenge Again ne représente que 0,3% du budget du MHLW). Enfin, l’évolution du rôle de la femme au Japon et la question, essentielle, d’un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle sont des chantiers difficiles qui se heurtent à de fortes réticences culturelles.

Photographie : © Japan Ryokan Association

Source : Mission économique du Japon – 03/07