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Laque japonaise

Le Japon possède la plus ancienne tradition de laque. L’utilisation de la laque au japon est confirmée depuis l’ère « Jōmon » (縄文時代 – De -10 000 à -300 av. J.C.).

Le terme « Laque » peut avoir deux sens qu’il convient de bien les distinguer. Le mot  laque désigne (i) lorsqu’il est employé au masculin l’objet laqué (nommé « Shikki » au Japon) et (ii) lorsqu’il est employé au féminin la matière qui sera enduite sur l’objet à laquer (nommé « urushi »).

Histoire de la laque

Bols japonais laque
N°1 – Laque en provenance de la ville de Wajima, préfecture d’Ishikawa

– Jusqu’à l’ère « Heian » (794-1185) les laques japonaises étaient largement inspirées des techniques et des thèmes en provenance de Chine. Le laque était rehaussé de motifs composés à partir de nacre, de métaux précieux ou encore d’un mélange de peinture réduite en poudre, d’huile et de laque.

La véritable révolution décorative qui donnera à la laque japonaise sa finesse et ses lettres de noblesse naîtra au VIIIème siècle avec l’invention du « maki-e ». Le terme « maki-e » signifie « image parsemée». C’est une technique dans laquelle le laqueur utilise des poudres d’or, d’argent et de cuivre afin de composé un décor. Cette technique purement japonaise mariera avec un abandon progressif les thèmes chinois (lotus, arabesque, phœnix,…) au profit, au Xème siècle, de thèmes purement japonais (vague, carpe,…) inspirés de la littérature de l’archipel.

– Sous l’ère de « Kamakura » (鎌倉時代 – 1185-1333) et la période « Muromachi» (室町時代 – 1333-1568), les objets laqués deviennent de plus en plus imposants.  On hésite plus à enduire de laque des coffres et des panneaux entiers. Période instable, marqué par les guerres et l’avènement de la caste des guerriers des objets laqués à vocation militaire font leur apparition (selle de cheval,…)

Les motifs représentés alors suivent exactement les modes de la peinture notamment yamato-e. Au niveau technique, en sus de l’utilisation toujours fréquente des poudres d’or et d’argent, l’emploi de feuille d’or (kirikane) apparaît. Autres innovations techniques durant cette période, l’apparition d’incrustation d’or (Chinkin) notamment de kanji (caractère) et de motifs en relief (kamakura-bori). Ces deux techniques étant inspirées de techniques chinoises. 

– Sous l’ère « Azuchi-Momoyama » (1568-1600) on assiste à deux grands mouvements au sein de l’art de la laque.

Le premier grand mouvement est celui de la simplification et de la sobriété des motifs. L’un des exemples les plus significatifs de cette tendance et le mausolée Shogun Toyotomi Hideyoshi au temple Kodai-ji. Ce temple donnera son nom à cette tendance artistique que ‘l’on nommera « Kôdaiji maki-e » (高台寺蒔絵)

L’incrustation de nacré très prisé largement supplantée par la technique du maki-e (saupoudrage d’or et d’argent) redevient en vogue.

Autre grand mouvement, la naissance de laques d’exportation. Ce laque est destiné au marché occidental particulièrement demandeuse de ces produits exotiques. Cette production est toutefois occidentalisée afin de mieux répondre au goût de la clientèle (production d’objets aux motifs religieux…).

Laque plateau or
N°2 – Plateau laqué décoré à l’or en provenance de la ville de Wajima, préfecture d’Ishikawa

– Sous l’ère « Edo » (1603-1867) c’est l’explosion des formes, des techniques et des styles. La laque est appliqué aussi bien sur des petits objets (peigne) que sur du mobiliers de grandes tailles.

Même des objets nouveaux comme les « Inro » (petite boîte portative), ou les nécessaires  à fumer n’échappent pas au phénomène.  Fait nouveau, alors que l’essentiel de la production était jusque là centralisé à Kyoto et Tokyo, des écoles de laque de bonne facture se créent en province notamment à Iwate, Tayama, Yamaguchi, Shikoku, Wakayama, Akita, Nagasaki, Niigata, Tsugaru…

A noter que l’appétit et l’attraction suscités par les laques japonaises motivèrent dès le début du XVIIIème siècle l’apparition de procédés chimiques visant à reproduire l’effet de la laque. Le premier verni du genre fut inventé par les frères Martin en 1730 à Paris.

– Sous l’ère « Meiji » (1868-1912) le japon s’industrialise et s’ouvre vers l’extérieur. Cette évolution bénéficiera à la production de laque qui continuera à s’exporter mais aussi à s’enrichir des courants artistiques occidentaux.

De nos jours de nombreux artisans japonais subsistent et continuent à perpétuer l’art de la laque en dépit de l’apparition et de la concurrence des laques et vernis chimiques au XXème siècle.

Evolution des usages

La laque fut dans les premier temps utilisée pour imperméabiliser les objets de la vie courante : poterie, céramique, tissu, vannerie. Ce n’est que plus tard avec l’évolution des techniques que viendront s’ajouter les dimensions artistiques et décoratives faisant du laque un objet d’exception.

Dés l’ère Heian (794-1185) les laques sont considérés comme des objets précieux. On utilise pour les confectionner tous les matériaux les plus nobles et les plus précieux (or, argent, nacre, corail,…). Ces objets laqués sont destinés aux temples bouddhistes et à l’aristocratie.

Tout en restant un objet de luxe destiné à une élite, l’histoire mouvementée de l’archipel se répercutera sur les laques produites. C’est ainsi que, lors de l’avènement et de la prise de pouvoir de la caste des guerriers, l’art de la laque s’appliqua à tout un ensemble d’objets à vocation militaire (fourreau de sabre, selle de cheval, étrier,…).

Autre événement historique majeur et autre adaptation importante dans l’univers des laques : au XVIèmesiècle a lieu le premier contact entre l’occident et le Japon. Rapidement furent produits des laques destinés à l’occident avec des motifs et des objets spécifiques (cabinet, lutrin,…) en parallèle d’une production, souvent de meilleure qualité, destinée au marché intérieur japonais.

L’art de la laque est aujourd’hui encore assez courant au Japon même si, étant considéré comme des objets de luxe, la production des laques reste toutefois modeste et orientée pour l’essentiel sur la confection d’objets de tailles modestes.

Collecte de la résine

Laque nacre boîte
N°3 – Boîte laquée, incrustation de nacre, ville d’Okinawa, Japon

La résine est récoltée en entaillant par encoches horizontales successives l’écorce de l’arbre à laque. L’arbre sélectionné doit avoir au moins une dizaine d’années. De petits récipients noués au tronc, traditionnellement de bambou, collectent la précieuse résine qui s’écoule lentement. La récolte s’opère de Juin à octobre. La récolte du mois de juillet est réputée être la meilleure.

Cette résine est particulièrement toxique. Elle contient une toxine nommée « urushiol » (C22H3602), produit qui, à l’état liquide, provoque des irritations et lésions cutanées.

De la résine à la laque

Une fois récoltée, la résine, d’une jolie couleur ambrée, est filtrée, polymérisée et oxydée. Ce n’est qu’une fois l’ensemble de ces étapes achevées que la résine peut être qualifiée de laque et qu’elle peut être utilisée.

Pour filtrer cette résine particulièrement collante et pâteuse, on la dilue avec du camphre ou du pétrole par exemple.

La polymérisation et l’oxydation doivent se faire en milieu chaud et humide. Cette étape correspond au séchage de l’objet fraichement laqué. En d’autre terme, lors de cette phase l’eau s’évapore de la résine qui en absorbe l’oxygène qui y est contenu.  Ce séchage ne peut s’obtenir qu’à une température de 25-30°C et à un taux d’humidité relatif élevé (75-85%). Cette étape doit s’effectuer de façon lente et progressive. Le temps de séchage varie selon la laque et les conditions d’hygrométrie. Cette étape dure en moyenne trois jours. Afin d’en maîtriser le processus l’objet laqué est placé dans un endroit (« muro » ou « furo ») maintenu artificiellement humide et à chaleur constante.

Bien que cela ne soit pas une étape essentielle à l’obtention de la laque, celle-ci peut être en sus colorée au grès des  envies et besoin du laqueur.

Couleurs de la laque

La résine obtenue de l’arbre à laque est naturellement de couleur brun foncé. Elle est souvent teintée afin d’obtenir une couleur particulière : jaune, verte, marron… Les couleurs noires et rouges sont les couleurs les plus réputées. Ces couleurs sont obtenues par l’adjonction d’oxyde de fer pour le noir et de sulfure de mercure pour le rouge.

Il est aussi possible d’utiliser du charbon de bois.

Les poudres métalliques (Keshifun)

Laques bol baguettes
N°4 – Bol, tasse et baguettes laqués et décorés à la feuille d’or en provenance de la ville de Nagano

La laque brune, noire ou rouge peut être rehaussée de poudre afin d’y créer des effets ou des décors (nuages, vent, cours d’eau…).

Pour y parvenir le laqueur (maki-e-shin) saupoudre ou applique délicatement des petits flocons de métal sur la résine encore fraîche. Ainsi fixés à la laque, le laqueur procède au brossage puis au polissage. Ce polissage révèlera tout le brillant de la poudre métallique ainsi parsemée. Une nouvelle couche de résine sera ensuite nécessaire pour bien fixer le tout.

Il existe 3 types de poudres métalliques et jusqu’à 10 granulosités différentes selon la poudre considérée.

Les métaux utilisés sont l’or (impun), l’argent (gimpun) et un mélange des deux métaux précédents nommé « or pâle » (aogin-fun).

Lorsque ce mélange est composé de trois parties de poudre d’or et d’une partie de poudre d’argent celui-ci est dénommé « Koban ».

La granulosité classe les grains de métal selon leur dimension et leurs formes.

Il existe quasiment un nom spécifique pour chaque poudre en fonction de sa granulosité:

Le terme « Keshifun » désigne une poudre d’or à très faible granulométrie.

Le terme « nashiji » regroupe quant à lui l’ensemble des paillettes irrégulières. Celles-ci pouvant être d’or (kin nashiji), d’argent (gin nashiji) ou d’un mélange des deux (koban nashiji). Le vocable « Hirame » fait référence aux paillettes métalliques relativement épaisses et plates.

Comment confectionner un objet en laque

L’élaboration d’un laque (objet en laque) se fait en plusieurs étapes : préparation du support, laquage, décor et finitions.

– La préparation du support

Le laque est souvent élaboré à l’aide d’une base en bois. Le bois est méticuleusement polis afin d’obtenir une surface plane sans aucune aspérité. Un apprêt composé de plusieurs couches chacune d’elles étant polies peut y être apposé sur le support afin d’obtenir la surface la plus lisse possible. Il est souvent fait usage d’argile dans la composition de l’apprêt. Un fois cette minutieuse étape préalable terminée le laquage peut avoir lieu.

Laque japonaise
N°5 – Bols laqués de la ville de Kiso-gawa, préfecture de Nagano , Japon

– Le laquage

Le principe du laquage est très simple. En pratique le laquage est une phase particulièrement longue et délicate. Elle consiste en l’apposition successive de couches de laque chacune d’elle étant polies avant que la suivante soit appliquée.

Certains objets sont recouverts d’une vingtaine de couches. Il est possible d’insérer entre chaque couche certains éléments décoratifs.  La première couche apposée est souvent la plus sombre la dernière étant une laque incolore servant simplement à protéger l’ensemble et laisser voir par transparence le travail accompli. La dernière couche est la plus finement polie. Le laqueur se sert souvent, pour ce dernier polissage, d’un chiffon très doux.

– Le décor

« Chinkin » : laque incrustée d’or

« Guri » ou « chôshitsu » : Ce terme renvoi aux laques sculptées. La laque d’une épaisseur suffisante, plus d’une vingtaine de couches, est entaillée afin de faire ressortir un motif.

« Ckyûshitsu » : laque sans décor (Voir photographie n°5)

« Kin-ma » : laques polychromes

« Maki-e » (蒔絵) anciennement appelé « makkinru » : ce terme générique renvoi aux techniques du saupoudrage de poudre métallique sur la laque fraiche (or, aluminium, plomb, argent,….) Il existe 3 grandes techniques de « Maki-e » : le « Hiramaki-e », « Takamaki-e »  et le « Togidashi » :

  • « Hiramaki-e » : ici le décor de poudre d’or est recouvert d’une laque transparente.

  • « Takamaki-e » : cette technique est issue de la technique du Maki-e (saupoudrage de poudre). Le décor est ici élaboré à l’aide de laque seule ou d’un mélange de laque et de charbon de bois ou de poudre d’argile avant d’être saupoudré de poudre métallique.

  • « Togidashi » : le laqueur appose ici son décor sur la laque fraiche qu’il recouvre ensuite d’une nouvelle couche de laque de la même couleur que la précédente. Il poli ensuite l’ensemble de façon à faire ressortir par effleurement le décor au même niveau que la dernière couche de laque.

Ces trois techniques peuvent être utilisées ensemble ou simultanément.

« Uusugai raden » : la laque est ici incrustée de nacre (Voir photographie n°3)

Les outils du laqueur

« Fude », terme générique désignant un pinceau

« Hake », pinceau plat et large

« Hera », renvoi  à la spatule

« muro » : correspond à  l’endroit dans lequel l’objet tout juste laqué est mis à sécher. Le « muro »  est hermétiquement clos ne laissant ainsi passer aucune poussière. La température et l’humidité y sont constamment contrôlées afin de permettre un séchage optimal.

Outil à polir : il existe de nombreuses techniques permettant de polir la laque. On utilise souvent avec un tissu très doux, du charbon de bois avec de l’eau.

« Tsutsu », instrument servant à saupoudrer la surface de la laque de poudre métallique (or, d’argent, cuivre). Elaboré à partir d’un bambou évidé dont l’extrémité a été biseautée, il est empli délicatement d’un peu de poudre qui est dispersée sur la laque fraiche lorsque le laqueur souffle à l’autre bout.

Source : Photographie n°1 : JNTO, n°2 : ©Ishikawa Prefecture Tourist Association and Kanazawa Convention Bureau / © JNTO, n°3 : © Nagano Prefecture / © JNTO, n°4 : © Okinawa Convention & Visitors Bureau / © JNTO, n°5 : ©Nagano Prefecture / © JNTO