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Utagawa Hiroshige

Portrait Utagawa Hiroshige par Kunisada
Portrait posthume peint par  Kunisada Utagawa (Toyokuni III) (1786 -1864) – ami d’Hiroshige

Utagawa Hiroshige (歌川広重) est un dessinateur, graveur et peintre japonais né à Edo (ancien nom de Tôkyô) en 1797 sous le nome « Andō Tokutarō » (安藤 徳太郎).

Il change plusieurs fois de noms au cours de sa vie. Il est ainsi connu sous les noms de Ichiyūsai, Ichiryūsai, Ryūsai et Toyohiro II. Utagawa Hiroshige est le nom d’artiste qu’il prendra en  1812. C’est ce nom qui passera à la postérité.

Particulièrement remarqué pour ses séries d’estampes (Ukiyo-e) notamment les « Cent Vues d’Edo », les « Soixante-neuf Stations du Kiso Kaidō », et la célébrissime série des « Cinquante-trois Stations du Tōkaidō », son style sera marque l’occident. En effet c’est notamment à travers ses œuvres que le « japonisme » s’implante en occident et inspire le mouvement impressionniste. Emporté par le choléra frappant alors la ville d’Edo, il s’éteindra le 12 octobre 1858.

Il eut notamment  comme élèves: Suzuki Morita, Andō Tokubei, connu sous le nom d’Hiroshige III.

Aperçu de son  œuvre

On peut considérer que Utagawa Hiroshige a vu le jour assez tard pour se lancer dans une carrière prometteuse, au lieud’être troublé par les différentes possibilités qui se seraient offertes à lui s’il était venu au monde quelques décennies plus tôt, comme Hokusai, l’un des très grand noms de la peinture, né en 1760.

Dans les années 1810, lorsque Hiroshige, comme la plupart des garçons d’environ 14 ans, voulut se faire connaître en tant que dessinateur d’estampes, le secteur était assez clairement défini. L’école Utagawa ouvrait de belles perspectives dans les portraits d’acteurs, très à la mode à l’époque. L’autre thème traditionnellement abordé par les estampes japonaises, les portraits de courtisanes des quartiers réservés, avait beaucoup perdu de son attrait, et seuls quelques rares et médiocres successeurs d’Utamaro s’y risquaient encore.

D’autre part, Hiroshige mourut en 1858, avant l’ouverture du Japon aux étrangers et les grands bouleversements sociaux qui suivirent. Il n’eut donc pas à s’adapter à une transformation aussi radicale de son univers, contrairement à nombre des élèves d’Utagawa Kunisada et d’Utagawa Kuniyoshi, qui furent contraints de se tourner vers des estampes s’adressant à un plus large public au lieu de perpétuer une certaine tradition artistique.

Mais Hiroshige ne put éviter, évidemment, que ses successeurs Hiroshige II et Hiroshige III soient confrontés à ce monde en mutation : l’ouverture du port de Yokohama en 1859, la construction de la première voie ferrée entre Tokyo et Yokohama à partir de 1873, l’installation de réverbères au gaz dans les rues, et même l’arrivée de la photographie.*

Hiroshige Tokaido matin clair hiver Kameyama
Série du Tôkaidô – matin clair d’hiver à Kameyama – ©DP

La série du Tôkaidô

Jusqu’à très récemment, on pensait généralement que Hiroshige avait réalisé ses esquisses lors d’un voyage sur le Tôkaidô, où il avait accompagné le convoi d’Edo à Kyoto des chevaux que le shogun souhaitait offrir à l’empereur. Cette version est aujourd’hui contestée à plusieurs titres. D’abord, le voyage n’est mentionné nulle part, ni dans les archives de la famille, ni dans l’Ukiyoe ruikô.

Ensuite, si tant est que Hiroshige ait réellement accompli ce voyage, il n’a sans doute jamais dépassé la province de Suruga : la majorité des illustrations des étapes suivantes, au moins dix-neuf d’entre elles, s’appuie plutôt sur les planches d’un guide de voyage largement diffusé, le Tôkaidô meisho zue, publié en 1797. Quoi qu’il en soit, cet ouvrage donnait aussi des indications sur le paysage, les ponts à traverser et les spécialités locales, ainsi que des conseils sur les boutiques où s’approvisionner.

Autre source que Hiroshige devait avoir à l’esprit, un roman picaresque de Jippensha Ikku (1765-1831) très en vogue à l’époque. Ce livre intitulé Tôkaidôchu hizakurige (À pied sur le Tôkaidô) avait été publié en plusieurs fascicules à partir de 1802. Le succès retentissant de ce roman contribua non seulement à faire apprécier le Tôkaidô à un large public, mais il obligea aussi Ikku à écrire plusieurs suites, comme les Nouveaux Voyages sur le Tôkaidô, D’autres voyages sur le Tôkaidô, et même D’autres voyages sur plusieurs autres routes japonaises.*

Avec cette série, Hiroshige s’était fait un nom et avait bien établi sa réputation. Il était enfin considéré comme le représentant d’un courant important de l’école Utagawa, qui monopolisait à cette époque le marché des estampes d’acteurs du théâtre kabuki, avec Kunisada comme successeur de Toyokuni, mais aussi le thème des guerriers historiques avec Kuniyoshi, qui exploitait ce filon depuis 1827. Désormais, ils jouaient aussi un rôle dans le thème du paysage. Par rapport à Hokusai – comme on le verra plus loin – ils n’avaient pas de soucis à se faire, et ne s’en faisaient donc pas. Les Utagawa s’adressaient au grand public, un marché très différent des acquéreurs des estampes de paysage de Hokusai.

En 1830, Hiroshige apporte une légère modification à l’orthographe de son pseudonyme Ichiyûsai. Deux ans plus tard, à partir de 1832, il transforme à nouveau son nom en Ichiryûsai Hiroshige. C’est le sceau qui figure sur la plupart de ses estampes du Tôkaidô. Fort de sa réputation de paysagiste, désormais bien assise, il ne réalise plus d’estampes d’acteurs après 1833. Hiroshige se consacre uniquement à la production régulière d’estampes de vues célèbres d’Edo et mûrit d’autres projets encore plus ambitieux.*

Kisokaido Fukaya
Série du Kisokaidô – la station de Fukaya – ©DP

La série du Kisokaidô

Une fois de plus, sans accomplir le voyage lui-même, Hiroshige termine la série de façon très similaire à ce qu’il avait fait pour le Tôkaidô, s’appuyant largement sur le Kisoji meisho zue, un guide de voyage sur le Kisokaidô publié en 1805 avec les illustrations d’un peintre de Kyoto, Nishimura Chûwa (1758-1835). Ajoutons néanmoins qu’Eisen avait lui aussi abondamment utilisé ce guide pour les estampes qu’il avait réalisées plus tôt.

Si l’on compare les deux séries d’estampes, celle sur le Tôkaidô et celle sur le Kisokaidô, il est intéressant de noter que quelques-unes des compositions les plus réussies se répondent d’une série à l’autre : c’est ainsi que la scène de brume à Mishima sur le Tôkaidô correspond à la planche de Miyanokoshi dans la série du Kisokaidô. De même, les paysages enneigés de Kanbara et Kameyama sur le Tôkaidô font écho à ceux de Wada et Ôi sur le Kisokaidô. La pluie offre un éventail de correspondances encore plus large : Ôiso, Shôno et Tsuchiyama sont les pendants de Suhara, Nakatsugawa et Tarui. Les deux séries nous font même pénétrer à l’intérieur d’une auberge, à Akasaka et à Shimosuwa. En revanche, la série du Kisokaidô introduit un nouvel effet, la lune à Mochizuki, à Nagakubo et, dans une certaine mesure, à Seba, où l’astre nocturne est associé au crépuscule. C’est véritablement dans ce type de sujet que Hiroshige donne le meilleur de son art et que l’imprimeur a la responsabilité la plus lourde. Pour se rendre compte à la fois du génie de Hiroshige dessinateur et des qualités de ses estampes, il suffirait de passer une heure à étudier quatre, cinq ou six différents tirages de n’importe laquelle de ces gravures où il met à l’honneur la pluie, la brume, la neige, le clair de lune ou le crépuscule.

Peu avant sa mort en 1857, Hiroshige reprend le thème du Kisokaidô dans un impressionnant paysage de format ôban représentant les gorges de Kiso sous la neige – qui s’intègre probablement dans un triptyque consacré à la neige, à la lune et aux fleurs. Il s’inspire là encore d’illustrations du Kisoji meisho zue, dont il associe deux planches pour représenter l’intégralité de la vue.*

Hiroshige Quartier des teinturiers de Kanda
Série des Cent Vues d’Edo – Le quartier des teinturiers de Kanda – ©DP

Les dernières années de Hiroshige et la série des Cent Vues d’Edo

Sur le plan de sa vie privée, on sait que l’épouse de Hiroshige, qui était la fille d’un pompier de la compagnie, Okabe Yaemon, mourut le vingt-troisième jour du dixième mois lunaire de 1839 et que l’artiste se remaria avec une certaine Oyasu, qui décéda en 1876. En 1845, il perd son fils Chûjirô. Son journal intime mentionne des voyages dans les provinces de Kai en 1841, d’Awa, Kazusa et Shimôsa en 1844, toutes peu éloignées d’Edo et, peut-être, dans la province de Shinano en 1848.

Le dernier grand projet de Hiroshige allait être, une fois de plus, dédié à des vues de la capitale : la série Meisho Edo hyakkei (Cent vues des lieux célèbres d’Edo), publiée par Uoya Eikichi. Néanmoins, alors que la plupart des vues qu’il avait réalisées auparavant sur Edo étaient des compositions horizontales – à l’exception notable de la série sur les restaurants célèbres mentionnée ci-dessus – Hiroshige opte dans cette dernière série, la plus importante, pour des compositions verticales.

Autre aspect qui la distingue de la plupart des séries et groupes de vues de lieux célèbres antérieurs, ses dessins s’adressent incontestablement aux habitants d’Edo, qui connaissaient bien la ville et qui allaient être frappés par les points de vue de Hiroshige, en aucun cas adaptés au visiteur de passage. La série offre non seulement des vues d’une grande variété de sites, tant dans le centre de la ville qu’à sa périphérie, mais elle alterne aussi des vues à hauteur des yeux et des panoramas qui semblent vus du ciel.

Dans ces Cent vues, Hiroshige s’amuse notamment à expérimenter différents types de perspective. De toute évidence, ses vues plus anciennes de lieux célèbres ont toujours prouvé qu’il maîtrisait bien les principes de la perspective linéaire européenne. Pourtant, dans sa dernière série, il décide d’exagérer la règle logique selon laquelle les objets les plus proches nous apparaissent plus grands que les objets éloignés.

Appliquant ce principe à la lettre, Hiroshige glisse dans son dessin le détail d’un char de festival qui nous permet tout juste de deviner que la queue emplumée et la patte du premier plan appartiennent à un coq juché sur un tambour. Perplexes, nous nous demandons un instant si cette prétendue vue de la baie d’Edo depuis Takanawa n’aurait pas plutôt pour sujet principal deux chiots mordillant une sandale en paille et une charrette dont on n’aperçoit qu’une partie.

Au troisième mois de 1856, Hiroshige prend la tonsure et devient moine bouddhiste, ce qui ne l’empêche pas de terminer sa dernière grande série sur les vues urbaines d’Edo.

Après une brève maladie, il meurt le sixième jour du neuvième mois de 1858 et est enterré dans le caveau familial au Tôgakuji. Dans son poème d’adieu, il écrit :

« Laissant mes pinceaux sur les routes de l’Est, je vais maintenant explorer les lieux célèbres des pays de l’Ouest [le Paradis]. »*

Source : Dossier de presse de l’exposition Van Gogh, rêves de Japon et Hiroshige, l’art du voyage de la Pinacothèque de Paris. Les textes se terminant par * sont du Pr Matthi Forrer, commissaire de l’exposition