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Kié la petite peste

L’histoire

Dans un quartier populaire de la ville d’Osaka, la petite Kié assure avec énergie et débrouillardise le quotidien mouvementé de la gargote familiale. Elle est aidée en cela par ses grands-parents et son redoutable chat Kotetsu. Sa maman ayant quitté le foyer pour une vie plus « normale », c’est elle qui doit en outre gérer les frasques de son père, « Tetsu, le bon à rien » !

À propos de Kié la petite peste

Au Japon, à l’époque de sa sortie en 1981 et en raison de son aspect novateur et de ses partis pris narratifs radicaux, Kié, la petite Peste, ne recueillit qu’un succès nuancé à Tokyo (mais suffisant pour déjà rembourser tous les frais engagés par la production). Le film est porté par une gouaille, des accents d’une langue orale et un humour chaleureux propres au Japon de l’Ouest (lieu où se déroule l’action du film). Or, il existe à Tokyo une sorte d’aversion envers la langue et la culture d’Osaka, considérées avec condescendance du haut des buildings de la capitale. Tout en gardant le maximum de spécificités régionales, notamment en faisant engager des comédiens du cru pour le doublage (fait presque unique pour une production cinématographique d’envergure nationale), Isao Takahata ne sombra pourtant jamais dans la vulgarité dont est taxé le langage d’Osaka. Il profita de Kié pour donner avec humour et tendresse, mais non sans sérieux, un beau coup de projecteur cinématographique sur une région tombée dans les oubliettes géopolitiques. Aussi, logiquement, dans la région d’Osaka et dans tout l’ouest du Japon, les contours d’un triomphe se dessinèrent. En vidéo également, le film rencontra un public important, de plus en plus intrigué par la carrière, encore naissante, de ce peu ordinaire réalisateur de dessins animés qu’est Isao Takahata. La mise en chantier d’un second long-métrage fut rapidement envisagée. Finalement, capitalisant sur le succès du manga, ce sont deux séries télévisées de 64 épisodes qui débarquèrent sur les petits écrans nippons. La collaboration de Isao Takahata à ces shows fut assez limitée. Il “briefa” l’équipe technique et autorisa la reprise du timing de plusieurs plans du long-métrage. Il réalisa également quelques-uns des premiers épisodes de la série et arrangea un thème musical, mais fut vite happé par d’autres projets, notamment la fondation du studio Ghibli.

Kié la petite peste

Dans la carrière d’Isao Takahata, Kié, la petite Peste, est une œuvre remarquable à plusieurs titres. Treize ans après Horus, Prince du Soleil, il s’agit du troisième long-métrage réalisé par le cinéaste. Mais, si Horus était un film de “fantasy” dont la genèse fut marquée par une farouche bataille ayant opposé les animateurs à leur producteur (le studio Tôei), Kié est une œuvre de commande, un film social et contemporain. D’autre part, Isao Takahata dirigea Kié sans la contribution de Hayao Miyazaki, mais avec le soutien des meilleurs animateurs de leur génération, notamment Yasuo Otsuka et Yôichi Kotabe, dont les travaux ont été décisifs dans l’évolution du cinéma d’animation moderne. Isao Takahata profita de ce contexte de liberté et de sécurité pour s’approprier et dynamiser l’humour déjà très énergique contenu dans le manga de Etsuji Haruki. Il entama ainsi dans Kié, la petite Peste, un tournant déterminant de sa carrière. Alors que son comparse Hayao Miyazaki, un amoureux des contes et de la littérature enfantine, devait s’imposer comme le chantre de la fantasy, Isao Takahata choisit de construire son œuvre sur des bases proches de sa sensibilité. Avec Kié, le cinéma d’Isao Takahata devait se faire le témoin aussi bien politique, économique que social de l’histoire et de l’évolution de son pays. “Après la grande crise qui fit démissionner plusieurs animateurs de la Tôei, Yasuo Otsuka intégra le studio Télécom”, se souvient Yôichi Kotabe, qui fut chargé du design et de l’animation sur Kié “c’est à ce moment là que lui fut proposé de travailler sur une adaptation en dessin animé du manga Kié, la petite Peste. Il fit alors appel à Isao Takahata et à moi-même pour nous présenter le projet. L’aventure que nous avions vécue durant la période où nous fûmes salariés de la Tôei et surtout sur Horus, Prince du Soleil nous avait à ce point rapprochés que nous avons été immédiatement intéressés”.

L’univers graphique

Kié la petite peste

L’univers graphique du manga fourmillait de contraintes dont il a fallu tenir compte pour la réalisation du film, sous peine de travestir complètement l’œuvre de Etsuji Haruki. Dans la bd le graphisme est assez plat. Un des personnages est même représenté seulement par un rectangle grossier et deux yeux ronds. A tel point qu’il n’a pas été possible de le faire apparaître dans le film. “Parmi mes regrets”, exprime Isao Takahata, “il y a le fait que nous n’ayons pas pu représenter le personnage de Hirame. Si nous l’avions fait le film aurait dépassé trois heures. Nous avons également omis la scène où Tetsu attrape un rhume et ne peut plus boire d’alcool. Je trouvais pourtant cet épisode du manga extrêmement amusant”. D’autre part, dans la bd les personnages sont systématiquement dessinés soit de face, soit de profil.

Cela posa évidemment des problèmes pour les animateurs qui devaient rendre des volumes. Pour le personnage de Kié, l’une des solutions trouvées fut de rendre compte de son expressivité par l’intermédiaire de ses joues, qui deviennent rouges et se déforment beaucoup. “J’ai eu de la peine à dessiner fidèlement les muscles des joues de Kié qui changent selon ses sentiments : joie, colère, tristesse…”, décrit Yôichi Kotabe. “ils sont l’un des principaux vecteurs d’émotion du personnage. Les yeux aussi étaient difficile à réinventer (ce ne sont que des petits points dans le manga original). Dans la bd leur représentation était très efficace. Mais si nous les avions dessinés de la même façon, nous ne serions pas arrivés à un résultat satisfaisant en animation. Les prunelles auraient semblé trop proches l’une de l’autre. Il a donc été nécessaire de changer l’expression des yeux”.

Comme Kié a un visage plat et que Takahata souhaita rester fidèle à cette caractéristique, il a dû éviter que l’héroïne soit montrée dans le film de 3/4. Pour y parvenir, il a employé des mouvements d’appareil rapides ou des effets de montage assez cut pour replacer Kié de face. De même, il a fallu éviter les plans où des protagonistes regardent vers le haut, à cause des contraintes engendrées par la représentation du menton pour des personnages ayant un visage plat (la difficulté pour représenter de manière satisfaisante en animation des personnages ayant un visage plat explique en partie l’abandon par l’animation commerciale des caractères faciaux asiatiques). “On a conservé des visages avec très peu de lignes”, se souvient Yôichi Kotabe. “Mais, contrairement à ce que l’on peut penser ce n’est pas facile à dessiner, car il faut trouver un moyen de rendre les personnages expressifs.

Animer des personnages dans le style de ceux que l’on voit dans Kié est bien plus compliqué qu’il n’y paraît, car il ne faut pas qu’ils deviennent grotesques ou mono-expressifs. Par exemple, il était plus ardu de dessiner le père de Kié que les chats. La représentation des chats nous a quand même posé différents types de difficultés, mais pas nécessairement celles auxquelles on pourrait s’attendre. En fait, dessiner des chats marchant sur leurs deux pattes n’est pas un souci pour des animateurs expérimentés. Le problème est plutôt de dessiner les intervalles, puisque dans le manga original il n’y a qu’une seule pose et que le mouvement est figuré.

Dessiner des mouvements à partir d’une seule pose tout en restant fidèle aux personnages tels que décrits dans le manga était assez difficile, surtout si l’on désire respecter l’œuvre originale. Par exemple, la scène où Tetsu lève la jambe dans le cimetière nous a causés beaucoup de tracas. Trouver le bon timing pour figurer un coup à la fois violent et marrant n’a pas été aisé. Pourtant, dans le manga, en une seule case cela fonctionnait parfaitement. En fait, la question fut de gérer habilement l’effet contre-nature engendré par la posture debout des chats.

Initialement, je pensais que montrer une scène avec un chat marchant à quatre pattes résoudrait le problème par contraste, mais c’était trop éloigné de l’esprit du manga original. Après une discussion avec l’équipe, j’ai alors décidé de modifier la scène où Tetsu apparaît pour la première fois. J’ai décidé de jouer la surprise et de ne pas montrer immédiatement qu’il pouvait marcher sur deux pattes. J’ai retenu le moment de ce coup de théâtre tout en exhibant un maximum d’aspects de la personnalité atypique de Tetsu, comme le moment où il saisit un bout de viande à deux mains avant de l’avaler tout cru. Le moment où l’on comprend qu’il marche sur deux pattes n’est plus alors qu’un paroxysme dont la force comique est accentuée, car on a déjà saisi que ce chat était extraordinaire”.

Crédits

Titre : Kié la petite peste (Jarinko chié)

Année de création : 1981

Réalisation : Isao Takahata

Chef d’animation : Yōichi Kotabe, Yasuo Otsuka

Durée : 1h45

Dessin Animé : couleur

Source : dossier de presse Wild Side Vidéo